Le Prophète Muhammad (saw) et la «priorisation des valeurs»

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lundi 5 mars 2018

Le Prophète Muhammad (saw) et la «priorisation des valeurs»

Les valeurs morales telles que la vérité, la justice, l’équité, l’honnêteté, l’honneur, la pudeur, la modestie, le respect d’autrui, des parents, du voisin ou encore la solidarité à l’endroit des démunis, sont promues par l’Islam... À l’inverse, sur le plan moral comme spirituel, l’Islam rejette l’orgueil, l’injustice, l’abandon de la prière, le fait d’associer une chose à Dieu, le mensonge, la maltraitance d’autrui, l’exploitation ou encore l’avarice.

L’Islam insiste grandement sur l’importance de la morale, des valeurs et de la vertu. Une tradition prophétique nous rapporte que le Prophète (saw) a été envoyé pour parfaire les bonnes moralités « Je n’ai été envoyé que pour parfaire les bonnes moralités ». Une autre nous rappelle que le jour du Jugement Dernier, ce qui pèsera le plus en faveur du croyant, est son bon comportement « Il n’y a rien de plus lourd sur la balance du serviteur le jour du Jugement Dernier que le bon comportement ».  Ainsi, des valeurs morales telles que la vérité, la justice, l’équité, l’honnêteté, l’honneur, la pudeur, la modestie, le respect d’autrui, des parents, du voisin ou encore la solidarité à l’endroit des démunis, sont promues par l’Islam. Sur le plan spirituel, la dévotion à l’égard de Dieu, la piété, la purification spirituelle, l’adoration du Divin, la bonne intention, relèvent des valeurs spirituelles de l’Islam. À l’inverse, sur le plan moral comme spirituel, l’Islam rejette l’orgueil, l’injustice, l’abandon de la prière, le fait d’associer une chose à Dieu, le mensonge, la maltraitance d’autrui, l’exploitation ou encore l’avarice.

Mais comment doit-on agir dans des situations ou plusieurs valeurs promues par l’Islam s’opposent entre elles ? Comment choisir entre des éléments relevant tous de ce que l’Islam demande aux croyants ?

Face à cette problématique qui touche tous les croyants à un moment ou un autre de leur vie, le Prophète Muhammad (saw) avait pour habitude de développer un sens des priorités qui l’amenait à privilégier une valeur plutôt qu’une autre en fonction du contexte et de la situation à laquelle il était confronté. C’est ainsi qu’un système de priorisation des valeurs s’est développé et qu’un contexte particulier peut engendrer la suspension d’une valeur Islamique au profit d’une autre. 

À titre d’exemple, l’Islam rejette fermement le mensonge, qui est considéré comme un péché. Le Prophète (saw) a dit à ce sujet « Prenez garde au mensonge, car le mensonge mène à la perversité, et la perversité mène au feu. L’homme ne cesse de mentir jusqu’à être inscrit comme menteur auprès d’Allah »[1]. Le Prophète a aussi mis en avant que le fait de perpétuer le mensonge était une des caractéristiques de l’hypocrisie[2]. L’épouse du Messager (saw), Aicha (que Dieu l’agrée), avait d’ailleurs décrit le mensonge comme la chose qui répugnait le plus son mari. « Il n’y avait rien de plus exécrable pour le Messager de Dieu que le fait de mentir. Chaque fois qu’il apprenait qu’un homme avait menti, il le délogeait de son cœur jusqu’à ce qu’il se repente »[3]. Dans le même ordre, de nombreux versets coraniques condamnent fermement le mensonge, à l’instar de celui-ci : « La malédiction d’Allah tombe sur les menteurs »[4].

Pourtant, malgré la condamnation sévère du mensonge par l’Islam, il existe des situations où celui-ci est toléré et même des cas où il peut devenir nécessaire. Le Prophète Muhammad (saw) a par exemple dit qu’il était possible de mentir dans l’optique de réconcilier deux personnes en conflit, soit dans un objectif positif « N’est pas menteur celui qui réconcilie les gens en disant du bien »[5]. Il ne s’agit pas ici d’une remise en cause de l’interdiction générale en Islam du mensonge, mais bien d’une priorisation contextuelle des valeurs. En effet, dans le cas d’un conflit entre personnes, deux valeurs s’opposent, le fait de ne pas mentir et le fait de favoriser la réconciliation. Les deux sont encouragées par l’Islam, mais dans ce contexte précis, le Prophète (saw) a enseigné qu’en cas de besoin on pouvait faire primer l’objectif positif de la réconciliation sur le fait de dire totalement la vérité. Ainsi, en l’espèce, il est possible de mentir ou d’arrondir les angles, dans l’objectif de permettre la réconciliation entre deux amis, entre un époux et son épouse, deux frères, ou entre des personnes en conflit de manière générale.

Oum Kalthoum, la fille de l’Envoyé de Dieu (saw), a rapporté à propos de son père trois situations où il permettait le mensonge « Je ne l’ai vu (le Prophète) permettre le mensonge que dans trois cas : la réconciliation, la guerre, et les relations conjugales »[6].

En effet, en temps de guerre la ruse est permise par l’Islam. Ici encore il y a un conflit de valeurs qui est réglé par la priorisation contextuelle. En temps de guerre entre deux communautés, deux peuples ou deux nations, le but est de défendre sa communauté, de la protéger et de remporter la guerre. Dans le même temps, la guerre engendre un risque de mort et de destruction pour ses protagonistes, il est donc du devoir de chacun de protéger les siens. Face au risque de se faire tuer, emprisonner ou détruire, le Prophète a considéré qu’il devenait tolérable d’user de la ruse et donc de mentir, dans l’optique de gagner la guerre et de protéger sa communauté de la mort, du massacre et de la destruction. Il s’agit par exemple, de faire croire à l’ennemi que les troupes sont à un endroit plutôt qu’à un autre, ou alors, lorsque l’ennemi arrête quelqu’un, de les convaincre de ne pas le tuer en mettant en avant des caractéristiques fausses sur cette personne. Il peut aussi s’agir de faire croire à l’ennemi que l’on dispose de beaucoup plus de soldats et d’armes qu’il n’y en a en réalité, comme les musulmans l’avaient fait lors de la conquête de la Mecque, à l’époque du Prophète, en allumant des feux pour impressionner l’ennemi[7].

Enfin, sur la question des relations entre époux, le Prophète (saw) a autorisé le mensonge dans la limite des propos d’embellissement de la réalité et en aucun cas ce dernier n’a permis de mentir sur n’importe quoi à son conjoint. Il s’agit par exemple, comme dans la plupart des couples, d’exagérer la réalité, comme un mari disant à sa femme, pour lui faire plaisir et renforcer leur amour, qu’elle est la plus belle du monde et la meilleure épouse de la planète. Ou encore une épouse vantant la force et la virilité de son mari pour favoriser son estime soi et leur amour mutuel. Encore une fois ici, il y a une priorisation de valeurs, où le bien être et l’amour conjugal que l’Islam encourage devient prioritaire sur l’interdiction générale du mensonge.

Le principe du Fiqh considérant qu’il faut choisir le « moindre des deux maux » (al ikhtiyâr akhafu ad dararayn), lorsque qu’aucune autre alternative ne s’offre à nous, renvoie aussi une forme de priorisation des valeurs s’inspirant de l’exemple prophétique.

Un hadith rapporte qu’un jour Abbad Ibn Charahbil est venu avec ses parents à Médine, il est entré dans un champ de blé et a pris quelques épis dont il a séparé le grain. Le propriétaire du champ est alors venu, lui a pris ses vêtements et l’a battu. Abbad est alors allé se plaindre auprès du Prophète Muhammad (saw) qui a demandé qu’on lui amène le propriétaire du champ. Il lui demanda pourquoi il avait agit ainsi. Le propriétaire du champ répondit que cet homme (Abbad) était entré illégalement dans son champ et avait volé des épis. Le Prophète Muhammad (saw) lui répondit alors « Il était ignorant et tu ne l’as pas éduqué. Il avait faim, et tu ne l’as pas nourri. Rends lui ses vêtements »[8].  

Sachant que l’Islam réprime sévèrement le vol et l’atteinte à la propriété d’autrui,  pourquoi, dans la situation évoquée, le Prophète (saw)  a-t-il condamné la victime du vol plutôt que son auteur ?

Tout simplement parce que loin d’appliquer littéralement des règles de manière décontextualisée, le Prophète (saw) privilégiait toujours une approche pragmatique visant à se rapprocher au mieux de la justice et de l’équité. Il a ainsi encore une fois pratiqué une priorisation des valeurs, en considérant en l’espèce que la justice sociale, que l’Islam promeut, primait sur la répression du vol, que l’Islam prescrit aussi. C’est pour cela qu’il a blâmé le propriétaire du champ, car il n’avait pas rempli ses obligations en matière de solidarité et de justice à l’égard de la personne démunie qui avait faim. En l’espèce, le devoir de justice sociale a été considéré comme prioritaire sur la répression du vol et sur le droit de propriété.

La priorisation des valeurs est donc au cœur de la méthodologie prophétique et de la philosophie de l’Islam. Elle fait de l’Islam une religion vivante, qui s’inscrit dans l’Histoire et le vécu concret des êtres humains, de manière réaliste et pragmatique, plutôt qu’être une religion dont les valeurs théoriques resteraient utopiques et loin de la réalité.

Cette méthode prophétique de priorisation des valeurs doit être un enseignement pour nous, dans la mesure où, dans la vie quotidienne, les musulmans sont confrontés à des situations complexes, qu’on ne peut pas résumer au licite ou à l’illicite. Il n’existe pas une fatwa pour chaque situation, c’est pour cela, qu’avec intelligence et à la lumière des valeurs de l’Islam, il faut essayer, autant que faire se peut, de développer un sens des priorités pour faire les bons choix et pour réagir de la meilleure des manières en faisant parfois primer une valeur sur une autre si le contexte l’exige, en cherchant à rester fidèle aux finalités de l’Islam et en visant constamment l’excellence (Al-Ihsan).

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[1] Rapporté par Bukhari et Muslim

[2] Rapporté par Bukhari et Muslim

[3] Rapporté par Ahmad

[4] Coran (Sourate 3/Verset 61)

[5] Rapporté par Bukhari

[6] Rapporté par Bukhari

[7] Al Mubarakfuri, Muhammad l’ultime joyau de la Prophétie, Éditions Ennour, 2008, p. 565

[8] Rapporté par an-Nasa’i et Abu Dawud

قَلَ رسول الله (صلى الله عليه و سلم ) : " كُلُّ مُسْكِرٍ خَمْرٌ , وَ كُلُّ مُسْكِرٍ حَرَامٌ , وَ مَنْ شَرِبَ الخَمْرَ فِي الدُّنْيَا فَمَاتَ وَهُوَ يُدْمِنُهَا , لَمْ يَتُبْ , لَمْ يَشْرَجْهَ فِي الآخِرَةِ. "
Le Messager d’Allah (saw) a dit :

“Tout ce qui enivre est une boisson alcoolisée et tout ce qui enivre est illicite. Celui qui boit de l’alcool en ce monde puis meurt en état de dépendance sans se repentir n’en boira pas dans l’au-delà.”

Sahih Muslim, Livre des boissons, Hadith 5218