L'enquête d'Héraclius

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vendredi 21 juillet 2017

L'enquête d'Héraclius


Héraclius, illustration par Rossen Toshev

D’après Abdullah bin Abbas :

Héraclius manda Aboû Soufyân, ainsi qu’un groupe de caravaniers venus en Syrie en commerçants, pendant la trêve conclue entre le Messager de Dieu ﷺ d’une part, et Aboû Soufyân et les infidèles Qouraychites d’autre part. [1] Ils se présentèrent alors qu’ils étaient à Jérusalem. Héraclius les reçut. Il était en réunion avec les grands de son royaume. Il les fit venir devant lui, appela son interprète et leur demanda :

« Qui parmi vous a le plus proche lien de parenté avec cet homme qui prétend être prophète ?

- Moi ! dit Aboû Soufyân.

- Faites-le avancer, dit-il, et mettez ses compagnons derrière lui. »

Puis s’adressant à son interprète, il dit :

« Dis-leur que je vais leur poser des questions à propos de cet homme, s’il cache la vérité, désapprouvez-le. »

Par Dieu, dit Aboû Soufyân, si je ne craignais pas d’être taxé de menteur, j’aurais menti. [2] La première question qu’il me posa fut :

« Quel est son rang parmi vous ?

- Il est d’illustre naissance ! lui dis-je.

- Y a-t-il jamais eu quelqu’un qui a dit ce qu’il a dit ?

- Non ! dit Aboû Soufyân.

- Y avait-il un roi parmi ses ancêtres ?

- Non ! dis-je.

- Est-ce que ceux qui le suivent sont parmi les nobles ou les gens faibles ?

- Plutôt les gens faibles ! lui répondis-je.

- Leur nombre augmente-t-il ou diminue-t-il ?

- Il est en progression ! dis-je.

- Y a-t-il parmi eux quelqu’un qui, par répulsion, renie sa foi après l’avoir embrassée ?

- Non ! dis-je.

- L’accusiez-vous de mensonge avant qu’il n’annonçât ce qu’il vient d’annoncer ?

- Non !

- Trahit-il ? demanda Héraclius.

- Non, dit Aboû Soufyân, cependant cela fait quelque temps que nous sommes en trêve avec lui, et nous ignorons ce qu’il est en train de faire entre-temps ! »

Aboû Soufyân fit remarquer qu’il ne put rien insinuer d’autre pour diffamer le Messager de Dieu ﷺ.

« L’avez-vous combattu ? demanda Héraclius.

- Oui ! dit Aboû Soufyân.

- Qu’en était l’issue ?

- Tantôt pour nous, tantôt pour lui.

- Qu’est-ce qu’il vous recommande ? demande le souverain.

- Il dit : « Adorez Dieu, sans rien Lui associer, rejetez ce que disent vos pères ; il nous recommande la prière, la franchise, la vertu, et de bien traiter nos proches ! »

Alors s’adressant à l’interprète, Héraclius dit : «  Dis-lui : Je t’ai interrogé sur son rang social, tu m’as répondu qu’il était d’illustre naissance, et les prophètes sont choisis parmi les distingués de leurs peuples ! Je t’ai demandé si quelqu’un parmi vous a prétendu avant lui la même chose ! Tu as dit que  non, j’ai présumé que s’il en était ainsi il se prévaudrait d’un exemple connu ! Je t’ai demandé s’il y avait un roi parmi ses ancêtres, tu as dit que non, j’ai présumé que si c’était le cas, il revendiquerait la dignité de son aïeul ! Je t’ai demandé si vous l’accusiez de mensonge avant qu’il n’annonçât  ce qu’il vient d’annoncer, tu as dit que non, je suis sûr qu’il s’abstient de mentir aux gens pour mentir à propos de Dieu ! Je t’ai demandé si ses adeptes étaient parmi les gens de condition ou parmi le menu peuple, tu as dit qu’ils étaient parmi le menu peuple : ce sont effectivement les adeptes des prophètes ! Je t’ai demandé si leur nombre augmentait ou diminuait, tu as dit qu’il augmentait ; ainsi va de la foi dans son évolution. Je t’ai demandé si quelqu’un parmi ses adeptes a renié sa foi par répugnance après l’avoir embrassé, tu as dit que non ; cela va de même pour la foi quand elle touche les cœurs et les épanouit. Je t’ai demandé s’il trahissait, tu as dit que non ; de même les prophètes ne peuvent trahir ! Je t’ai demandé ce qu’il vous recommandait, tu as dit qu’il vous recommandait d’adorer Dieu sans rien Lui associer, qu’il vous interdisait l’idolâtrie, qu’il vous préconisait la prière, la franchise et la vertu ! Si ce que tu viens de dire est vrai, il dominera l’endroit-ci où je mets mes pieds ! Je savais qu’un prophète allait apparaître, mais je ne pensais pas qu’il fût choisi parmi vous !  Si je m’estimais capable d’arriver jusqu’à lui, je m’efforcerais d’y aller, et si j’étais auprès de lui, je lui laverais les pieds. »

Ensuite il demanda le message envoyé par le Prophète ﷺ au gouverneur de Bousrâ par l’intermédiaire de Dihya [3]. Ce message fut transmis à Héraclius qui le lut. En voici la teneur :

Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux
de Muhammad, serviteur et Messager de Dieu
à Héraclius, roi des Byzantins

Salut à celui qui suit le droit chemin.

Je te convie à l’Islam.
Adhères-y, tu acquerras le salut et tu seras doublement rétribué.
Si tu refuses, tu assumeras les péchés commis envers les Arîsiyyîn.

« Dis : Ô Gens des Ecritures, convenons les uns et les autres de ce point commun entre nous,
 à savoir de n’adorer que Dieu seul sans lui adjoindre d’associé,
de ne pas nous prendre les uns et les autres pour des divinités, en dehors de Dieu.
S’ils s’en détournent, dites-leurs « Soyez témoins qu’à Dieu seul nous nous soumettons !
 » 

Quand Hécalius finit de parler et de lire le message du Prophète ﷺ un tumulte se produisit dans la salle, et les voix s’élevèrent ; on nous congédia, dit Aboû Soufyân ! Quand nous fûmes dehors, je dis æ mes compagnons : « Le prestige d’Aboû Kabcha [4] a grandi ! Même les Byzantins le craignent ! » Depuis, dit Aboû Soufyân, je ne cessais d’être certain qu’il remporterait la victoire jusqu’au jour où Dieu me gratifia de l’Islam.

Ibn An-Nâdhour, gouverneur de Jérusalem et ami d’Héraclius, était le grand évêque des chrétiens de la Grande Syrie. Il rapporte que lorsqu’Héraclius vint à Jérusalem, il se trouva un matin de mauvaise humeur ! Quelqu’un de son entourage lui fit la remarque : « Sire ! Vous avez l’air étrange ! » Héraclius était astrologue. A cette interrogation il dit : « Hier soir, en regardant les astres, j’ai vu les signes de l’avènement du royaume des circoncis ! Dites-moi ! Quel est le peuple qui pratique la circoncision ? – Il n’y a que les juifs qui la pratiquent ! lui dit-on. Ne vous en souciez pas, écrivez aux cités de vos royaumes qu’on les extermine ! »

Sur ces entrefaites, on présenta à Héraclius un homme, envoyé par le gouverneur des Ghassanides, venu porter des nouvelles du Prophète ﷺ. Après l’avoir interrogé, Héraclius dit : « Emmenez-le et voyez s’il est circoncis ! » Après constat on vint lui confirmer qu’il était bien circoncis. Héraclius demanda à l’homme si les arabes pratiquent la circoncision. Il répondit par l’affirmative. « Voici le règne de ce peuple qui commence ! dit-il. »

Puis Héraclius écrivit à un ami à Rome, son pair en savoir, et se dirigea à Homs. Avant de quitter cette ville, il reçut une lettre de son ami confirmant son point de vue sur l’apparition du Prophète ﷺ et qu’il était effectivement prophète !

Alors Héraclius convoqua les personnalités byzantines dans son palais à Homs, ordonna d’en fermer les portes, puis il vint à eux et dit : « Ô Byzantins !  Voulez-vous triompher, être dans la bonne voie et consolider votre pouvoir ? Prêtez serment à ce prophète ! » Alors ils s’élancèrent vers les portes, comme des ânes sauvages, mais les portes étaient fermées ! Héraclius, voyant leur attitude hostile et désespérant de leur adhésion à la nouvelle foi, dit : « Faites-les revenir ! J’ai dit ce que j’ai dit, leur  annonça-t-il, pour éprouver votre attachement à votre religion. Maintenant j’en suis convaincu ! » Alors ils se sont prosternés devant lui, lui témoignant satisfaction. Ce fut les dernières nouvelles d’Héraclius.

 

Texte extrait du Sahih Al-Boukhari, Livre du début de la Révélation, Hadith 7.



[1] Il s’agit de la trêve de Houdaybiya conclue en l’an 6 de l’Hégire, soit en 627 JC.

[2] Le mensonge est de tout temps un vice honteux chez toutes les nations, en particulier chez les Arabes à cette époque.

[3] Le Prophète ﷺ envoya en l’an 6 de l’Hégire des messages écrits aux grands souverains de son époque : Chosroès, roi des Perses ; César, roi des Romains ; Négus, roi d’Abyssinie ; le chef des Ghassanides au Châm, le chef de Yamâma, le chef de Bahreïn.

[4] Aboû Kabcha était un surnom péjoratif que donnaient les mécréants au Prophète ﷺ.

قَلَ رسول الله (صلى الله عليه و سلم ) : " كُلُّ مُسْكِرٍ خَمْرٌ , وَ كُلُّ مُسْكِرٍ حَرَامٌ , وَ مَنْ شَرِبَ الخَمْرَ فِي الدُّنْيَا فَمَاتَ وَهُوَ يُدْمِنُهَا , لَمْ يَتُبْ , لَمْ يَشْرَجْهَ فِي الآخِرَةِ. "
Le Messager d’Allah (saw) a dit :

“Tout ce qui enivre est une boisson alcoolisée et tout ce qui enivre est illicite. Celui qui boit de l’alcool en ce monde puis meurt en état de dépendance sans se repentir n’en boira pas dans l’au-delà.”

Sahih Muslim, Livre des boissons, Hadith 5218