Médine, d’Awliya Chalabi (Evliya Çelebi)

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vendredi 22 avril 2016

Médine, d’Awliya Chalabi (Evliya Çelebi)

Chaque ville possède un passé. Ce passé se trouve de temps à autre dans les livres d’histoire et d’autres fois dans l’héritage culturel et historique des générations qui habitent celles-ci. Et il y a d’autres villes dont l’histoire se trouve dans les écrits, ainsi que dans les œuvres monumentales édifiées par les ancêtres, mais surtout dans le cœur de ses habitants. Les informations archivées et authentifiées par les œuvres écrites se transmettent de génération en génération avec grande ferveur, au point de devenir une connaissance commune de la nouvelle génération. L’œuvre d’Awliya Chalabi, le trésor de l’histoire turque, se concentre autour de trois thèmes. Istanbul la capitale ottomane, les villes sacrées et Le Caire qui a été la voie principale par laquelle les besoins de La Mecque et de Médine étaient approvisionnés, une ville qui depuis l’époque d’Omar bin Khattab (ra) a été très influente sur les villes saintes d’un point de vue politique et social. 

Il a présenté méthodiquement la situation physique, géographique et historique de Médine et a décrit la vie de tous les jours d’un Médinois et les activités sociales qui y sont associées. Il y décrit comment Yathrib est devenu de la main du Prophète (saw) Médine.

Awliya Chalabi analyse les villes sur trois axes : l’histoire, l’emplacement et ses habitants. Cependant, concernant Médine, il a apporté certains sujets supplémentaires à son analyse. Ces ajouts concernent la valeur de Médine dans le cœur et la conscience des musulmans depuis l’hégire du Prophète (saw) et les répercussions de celle-ci dans la culture turque. Il a présenté méthodiquement la situation physique, géographique et historique de Médine et a décrit la vie de tous les jours d’un Médinois et les activités sociales qui y sont associées. Il y décrit comment Yathrib est devenu de la main du Prophète (saw) Médine. Lorsqu’il a entrepris cette analyse, il a utilisé de nombreuses œuvres sociologiques et a démontré ainsi qu’il n’était pas un simple voyageur retraçant ses souvenirs. Il a traité aussi des œuvres ottomanes présentes à Médine et a tenté ainsi de créer un lien spirituel entre Médine et Istanbul.  Avant et après le XVIIe siècle durant lequel Awliya Chalabi a vécu, de nombreux voyageurs sont passés par Médine, mais aucun d’entre eux n’a laissé un trésor d’information dépassant la simple description, tel que la fait notre auteur.

Awliya Chalabi, une fois arrivé à Médine, nous fait ressentir qu’il est arrivé à un endroit hors du commun. Ce n’est pas une quelconque ville, c’est la ville vers laquelle le Prophète Muhammad (saw) a effectué l’hégire. Notre présence dans cette ville sacrée doit s’accompagner de certaines règles et mœurs à respecter. La personne qui arrive à Médine doit tout d’abord prendre conscience qu’il se présente au Prophète (saw).

Awliya Chalabi, une fois arrivé à Médine, nous fait ressentir qu’il est arrivé à un endroit hors du commun. Ce n’est pas une quelconque ville, c’est la ville vers laquelle le Prophète Muhammad (saw) a effectué l’hégire. Notre présence dans cette ville sacrée doit s’accompagner de certaines règles et mœurs à respecter. La personne qui arrive à Médine doit tout d’abord prendre conscience qu’il se présente au Prophète (saw). Cette prise de conscience ne doit pas se limiter uniquement à l’effort de chercher à lui ressembler pour des raisons religieuses. Mais doit représenter le profond respect et la gratitude que nous ressentons à l’égard de son souvenir.  Alors que nous vivons l’enthousiasme de prier dans la mosquée du Prophète (saw), nous tentons d’augmenter la bénédiction de notre visite en tenant compte du conseil coranique (al-Ahzab/56) nous appelant à effectuer les prières et les salutations sur le Prophète (saw). Nous nous dirigeons vers Médine en priant avec une profonde concentration, espérant l’intercession (chafâ’a) du Prophète (saw). Nous entrons du nord de Médine, par le lieu où les voyageurs sont reçus et raccompagnés qui se nomme Thaniyya al-Wad’a, situé à l’est du flanc de la montagne de Sal’. Et si nous écoutons convenablement les paroles de l’hôte qui accueille les visiteurs, nous n’omettrons sûrement pas de saluer le Prophète (saw).

Le plan de Médine est construit avec en son centre Masjid al-Nabawi, qui, plus qu’une simple mosquée, accueille de nombreuses activités sociales. La ville est entourée de jardins sur ses trois côtés, délimités par de petits murets ou des buissons.

Awliya rapporte alors que Médine a été construit sur une grande surface plane, où se trouve à son nord la montagne d’Ouhoud et à son sud la montage de Âir. Concernant les résidus de coulés volcaniques qui encerclent l’Est et l’Ouest de la ville, l'auteur décrit cette zone appelée Waqim et Wabara comme étant des petits monts sur lesquels les habitants montent de temps à autre. Le plan de Médine est construit avec en son centre Masjid al-Nabawi, qui, plus qu’une simple mosquée, accueille de nombreuses activités sociales. La ville est entourée de jardins sur ses trois côtés, délimités par de petits murets ou des buissons. Les fortifications qui protègent la ville des attaques de Bédouins ont été reconstruites par le Sultan Sulayman le Magnifique (1539) et possèdent 4 portes en fer donnant sur Ouhoud, Kuba, Jannat al Baqi et Aqiq. Les maisons de certains quartiers à l’intérieur de la forteresse ont été construites côte à côte, avec des rues tellement étroites que seul un animal portant sa charge ne pourrait passer. À l’extérieur de la forteresse, vivaient généralement des Bédouins dans des maisons dispersées et désorganisées. La ville possède des ressources importantes, mais Masjid al-Nabawi et ses environs ne possédaient que de très faibles ressources d’eau. Surtout en période de pèlerinage où les besoins en eau sont très importants.

Médine possède sept différents types de dattes. Ses pommes sont très connues et les pêches, les abricots, les melons, les pastèques, les citrons, les agrumes, les olives et les figues s’y cultivent en grande quantité. Tandis que les produits céréaliers y viennent de Taif et d’Égypte.

Parmi les monuments de Médine, Awliya Chalabi traite longuement de la Mosquée al-Nabawi et plus particulièrement de la chambre dans laquelle le Prophète Muhammad (saw) a été enterré (Hucre-i saadet) et rawda al moutahhara qui désigne l’espace se trouvant entre la chambre du prophète (saw) et son minbar ( chaire de laquelle s’effectue le sermon du vendredi). Il a même essayé de définir au pas la superficie de la mosquée qui avait atteint 9429 m² après les travaux effectués durant la période des mamelouks. Il a donné les détails des modifications apportées par les Ottomans et a précisé que le minbar d’une hauteur de 7m envoyé par le sultan Murad III (1590), un chef-d’œuvre du point de vue de ses ornements et ses calligraphies, se trouve à la droite du mihrab, à la place du minbar du Prophète (saw). Ce minbar, orné de belles décorations en or que l’on peut retrouver dans les grandes mosquées ottomanes, est un des exemples de l’héritage ottoman qui ont pu subsister jusqu’à nos jours. La mosquée disposait d’un mihrab sur le lieu où le Prophète (saw) effectuait des prières nocturnes (mihrab al-tahajjud), devant ce mihrab et derrière la chambre où le Prophète (saw) a été enterré se trouvait une maqsoura (la zone privée réservée au souverain) dans laquelle se trouvait le mihrab de Fatima. La maqsoura disposait d'autres mihrabs esthétiques qui accueillaient les différents madhhab (école juridique). Le plus beau de ces mihrabs a été offert par Suleyman le Magnifique, construit et orné en marbre blanc et noir, il a été dédié au madhhab hanafite.

De belles calligraphies illustrant des hadiths et versets coraniques ornent le tombeau du Prophète Muhammad (saw) et l’espace appelé rawda al moutahhara. Le fait que Chalabi déclare que ces calligraphies ressemblent au style du grand calligraphe ottoman Ahmed Karahisarî (1556) nous indique que la majorité de ces décorations ont sûrement été effectuées après la période ottomane.

Masjid al-Nabawi dispose de trois minarets. Le minaret construit par les mamelouks, situé au Sud-Est, se nomme le minaret raisiyya (principale) car c’était de cet emplacement que le muezzin effectuait l’appel à la prière. Ce minaret à propos duquel Chalabi précise qu’il était différent des autres est le seul à être parvenu à nos jours. De belles calligraphies illustrant des hadiths et versets coraniques ornent le tombeau du Prophète Muhammad (saw) et l’espace appelé rawda al moutahhara. Le fait que Chalabi déclare que ces calligraphies ressemblent au style du grand calligraphe ottoman Ahmed Karahisarî (1556) nous indique que la majorité de ces décorations ont sûrement été effectuées durant la période ottomane. Parmi les calligraphies situées dans la chambre du Prophète (saw), on retrouve deux inscriptions où se trouvent les noms de tous les sultans ottomans allant d’Osman I à Ahmed I.

Awliya Chalabi nous informe qu’il existait 108 madrasas à Médine et que certaines d’entre elles servaient d’hébergement aux savants et à leurs entourages. Il semblerait que par madrasa, Chalabi entend tous les lieux d’enseignement tels que les écoles d’enseignement primaire, les centres d’enseignement coranique (dar al Kurra), les centres d’enseignement du hadith (dar al Hadith) ainsi que les édifices musulmans dédiés à l’enseignement spirituel (ribat, tekke et zawiya). La ville dispose encore de deux hammams construits au nom de Davut Pacha et de quatre imarets (centres d'hébergement et d'aide) édifiés au nom des sultans et de leurs femmes.

Awliya Chalabi transmet d’importantes informations concernant Jannat al-Baqi situé à proximité de la mosquée, au Sud-Ouest de la ville. Il ne reste plus aucune trace des monuments qui existaient à cette époque entre les fortifications donnant sur le cimetière par la porte de Baqi et la mosquée du Prophète (saw). Chalabi indique que les tombeaux qui y étaient présents étaient ornés d’or et couverts d’une toile verte. Il a donné les noms des personnes qui reposaient dans ces tombes et a dans certains cas écrit aussi leur histoire. Il a aussi déclaré que le tombeau d’Aïcha (r.anha) avait été rénové par Sulayman le Magnifique et que la tombe de la mère du Prophète (saw), Amina, avait été transportée d'Abwa pour être enterrée auprès de sa nourrice, Halima, au XIe siècle après l’hégire (627-628). Il indique de plus que la famille (ahli bayt) du Prophète (saw), les dix personnes promises au paradis (ash’ra moubachara) et la famille des Hashimites possédaient tous une partie distincte dans le cimetière de Baqi, sur lesquelles se trouvaient des tombeaux construits sous des coupoles et protégés par des gardiens. Dans un des coins de Baqi étaient aussi enterrés les savants et les dignitaires d’Istanbul et d’Anatolie. 

La visite du cimetière des martyrs d’Ouhoud situé à 100 km de Médine dans une zone majoritairement peuplée par les Bédouins ne pouvait se faire qu’en groupe, une fois que les conditions de sécurité avaient été complètement prises. Une mosquée s’y trouvait et le tombeau d’Hamza était construit sous une coupole, d’une hauteur de six marches et couvert d’une toile. Les autres tombes des martyrs ensevelis là où ils sont tombés ne possédaient pas de coupole. Les pèlerins de Syrie venaient rendre visite aux martyrs d’Uhud, après le pèlerinage durant le mois de Muharram et distribuaient de l’ashura (dessert cuisiné spécifiquement le mois de Muharram) aux populations.

Il a aussi été question dans son œuvre, des mosquées situées au nord-ouest de la montagne de Sal’. L’auteur a cité 4 mosquées de celles que l’on appelle aujourd’hui Masajid Sab’a (les sept mosquées), la mosquée de Salman al-Farisi, la mosquée d’Ali bin Abi Talib, la mosquée d’Othman bin Affân et la mosquée al-Fath. Il précise que la mosquée connue aujourd’hui sous le nom de Masjid Qiblatayn, dans laquelle le Prophète (saw) dirigeait la prière alors que la direction de la prière avait été tournée d'Aqsa vers la Kaaba, était en état durant sa visite. Et indique que de l’eau était puisée du puits situé à proximité de la mosquée al-Quba où le sceau du Prophète (saw) avait été perdu, pour arroser les jardins des alentours.

L’œuvre de Chalabi contient des informations d’une grande importance concernant la situation de Médine avant l’occupation du territoire par les wahhabites (juin 1805). Malgré les efforts d’Ibrahim Pacha, le fils du gouverneur d’Égypte Mehmet Ali Pasha, pour rénover les lieux avec l’aide d’artisans et ouvriers venus d’Istanbul, la ville n’a jamais pu retrouver son aspect original qu’elle revêtait au XVIIe siècle. 

Chalabi n’aborde pas la vie du Prophète (saw) comme un événement isolé comme l’ont fait les auteurs de sira et maghazi du passé. Au contraire, il traite la vie du Prophète (saw) dans le cadre de l’histoire de l’humanité et du monde et appréhende sa prophétie comme la continuité et le dernier maillon de la chaîne prophétique.

 

 

Awliya Chalabi nous présente Médine, mais prend aussi soin de retracer les souvenirs du Prophète (saw) et des compagnons. Il s’est déplacé jusqu’aux emplacements où ont eu lieu les événements concernant la sira (la vie du prophète) et les maghazi (les batailles) pour en faire une description précise. Et il a enrichi toutes ses analyses avec les sources écrites et orales auxquelles il a eu accès. Chalabi n’aborde pas la vie du Prophète (saw) comme un événement isolé comme l’ont fait les auteurs de sira et maghazi du passé. Au contraire, il traite la vie du Prophète (saw) dans le cadre de l’histoire de l’humanité et du monde et appréhende sa prophétie comme la continuité et le dernier maillon de la chaîne prophétique. Il utilise quelquefois les passages de l’œuvre simple et sincère de Yazicioglu Mehmed, muhammediye. Et d’autres fois il cite des extraits de wafa al wafa bi akhbar dar al Mustafa d’un auteur très peu connu dans son entourage, Semhudi. L’auteur partage aussi très souvent des informations issues de la culture orale de l’histoire proche et lointaine de la ville. Ainsi, il indique par exemple que Nureddin Mahmud Zengi (1162) avait attrapé un groupe de personnes qui avait tenté de voler le corps du Prophète (saw) en creusant des tunnels. Il a ensuite sanctionné les auteurs et pris toutes les précautions nécessaires pour que cela ne se reproduise plus.  Le fait que Nureddin Zengi soit allé, en 1162, au pèlerinage et que les sermons des deux villes sacrées ont été prononcés en son nom prouve sûrement l’authenticité de cet événement. 

Les origines des habitants de la ville sont très diverses, issus des quatre coins du monde, ils méritent respect et estime du fait d’avoir eu l’honneur de vivre à proximité du Prophète (saw). C’est pour cela que l’auteur donne régulièrement des précisions concernant leurs qualités.

Son œuvre reflète à l’identique la pensée ottomane concernant le califat, qui, plutôt qu’un héritage politique obtenu des Abbassides, était compris comme une responsabilité de protéger et servir les lieux saints de l’Islam. Il a donné des informations très précises concernant les hauts fonctionnaires de Médine, alors liée à Istanbul, tels que le cheikh de La Mecque, les responsables de l’armée et des cadis (magistrat musulman).  Il a souligné avec insistance que le statut des cadis de la ville était très respecté et tenu en estime. Les origines des habitants de la ville sont très diverses, issus des quatre coins du monde, ils méritent respect et estime du fait d’avoir eu l’honneur de vivre à proximité du Prophète (saw). C’est pour cela que l’auteur donne régulièrement des précisions concernant leurs qualités. Awliya Chalabi raconte l’effervescence économique de la ville lors du pèlerinage et de la venue des caravanes de Syrie, comme si cette situation durait toute l’année. Alors qu’en réalité la ville ne possédait que très peu de richesse. Mais il finit par indiquer que les seuls moyens de subsister offerts à la ville étaient dus à son statut religieux et à l’importance que lui accordait l’État ottoman. Effectivement, Les habitants de la ville vivaient des aides offertes par les waqfs (fondation) et les subsides envoyés par Istanbul et l’Égypte durant les donations telles que celles que l’on nomme surre, cevâli et ceraye (des caravanes d’aides et de cadeaux envoyées tous les ans vers les villes sacrées).

 

قَلَ رسول الله (صلى الله عليه و سلم ) : " كُلُّ مُسْكِرٍ خَمْرٌ , وَ كُلُّ مُسْكِرٍ حَرَامٌ , وَ مَنْ شَرِبَ الخَمْرَ فِي الدُّنْيَا فَمَاتَ وَهُوَ يُدْمِنُهَا , لَمْ يَتُبْ , لَمْ يَشْرَجْهَ فِي الآخِرَةِ. "
Le Messager d’Allah (saw) a dit :

“Tout ce qui enivre est une boisson alcoolisée et tout ce qui enivre est illicite. Celui qui boit de l’alcool en ce monde puis meurt en état de dépendance sans se repentir n’en boira pas dans l’au-delà.”

Sahih Muslim, Livre des boissons, Hadith 5218